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Fusillades aux Etats-Unis: ces victimes dont on ne parle pas





Bill McCarthy. AFP

A chaque fusillade aux Etats-Unis, des gens parfaitement innocents se voient accusés d'en être les auteurs sur les réseaux sociaux. Retour sur ces victimes dont on ne parle pas, avec Bill McCarthy, journaliste au service d'investigation numérique de l'AFP à Washington.

Sur les écrans de télévision du bureau de l'AFP à Washington, les dernières informations qui défilaient en boucle avaient un air de déjà-vu déprimant.

Un tireur lourdement armé, dont l'identité n'avait pas encore été établie, avait ouvert le feu dans une école, à Nashville, dans le Tennessee. Six noms - dont ceux de trois enfants de neuf ans - venaient de s'ajouter à la liste déjà interminable d'innocents tombés sous les balles aux Etats-Unis.

Chaque nouvelle tuerie m'affecte profondément - j'ai de la peine pour les victimes, leurs proches et leur entourage, submergés de chagrin. Mais aussi parce que je sais, de par mon expérience de fact-checkeur, que des gens au-dessus de tout soupçon vont être faussement accusés d'être des assassins, et leurs photos largement diffusées sur les réseaux.

J'ai vu le scénario se reproduire des dizaines de fois. A chaque tuerie, c'est un nouveau cycle de désinformation qui commence.

Après la fusillade à Michigan State University en février, un auteur vivant à plus de 1.000 kilomètres de là, dans le Massachusetts, sans  aucun lien avec l'évènement, s'est vu faussement accusé sur Twitter. Pour appuyer ses fausses affirmations, la personne à l'origine de cette infox est allée jusqu'à créér de toutes pièces un compte Facebook au nom de l'écrivain.

Quand un tueur a tiré sur des clients d'une boîte de nuit LGBT+ de Colorado Springs en novembre dernier, des photos ont circulé sur les réseaux qui prétendaient montrer et identifier l'assassin. Il s'agissait là encore de photos de gens sans aucun rapport avec l'évènement - dont un joueur professionnel de hockey.

Et après l'attaque contre une école à Uvalde, au Texas, en mai 2022, qui a fait 21 morts dont 19 enfants, des utilisateurs du forum 4chan, réputé pour imposer le moins de règles possibles à ses utilisateurs, sont allés récupérer des photos d'une femme transgenre sur le site Reddit pour l'accuser à tort de la tuerie.

Rebelote après la fusillade de Nashville. Des photos d'un acteur, d'une personne transgenre faisant du streaming vidéo, d'un jeune artiste vendant ses créations sur la plateforme Etsy, ou encore d'une personne militant pour les droits des transgenres dans l'Oklahoma ont inondé les réseaux, eux aussi faussement accusés.

C'est évidemment humain de vouloir en savoir plus sur des évènements aussi tragiques. Le public est souvent avide de détails sur la personnalité du tueur. Le temps que la police mène son enquête et que les journalistes rassemblent les informations auprès de sources fiables crée une attente, qui génère inévitablement toutes sortes de spéculations - que des personnes mal intentionnées sont ravies d'exploiter et de propager en ligne.

Mais le tort qu'elles causent en agissant ainsi n'a rien de virtuel.

Dans le cas de Nashville, après que la police eut annoncé être intervenue sur une fusillade, j'ai fait une rapide recherche sur Twitter avec ces mots-clé: “le tueur de Nashville identifié". A en croire les dizaines de résultats qui se sont affichés, les autorités de Nashville avaient déjà identifié le criminel, une femme transgenre dénommée “Samantha Hyde”.

Sam Hyde, acteur américain, est un nom que nous fact-checkeurs connaissons bien. Tout comme des variations autour de son nom, comme “Samantha Hyde”, “Samuyil Hyde” ou encore “Samir Al-Hajeed”. Certaines personnes actives sur les réseaux pourraient ainsi nous faire croire que Hyde a été à l'origine d'innombrables drames ces dernières années.

En fait, tout a commencé par un “meme” sur 4chan, et depuis, son nom revient à chaque tragédie, comme un mauvais gag qui n'en finirait jamais
.

D'autres tweets, maintenant effacés, ont imputé la tuerie à Clara Sorrenti, une militante transgenre et streameuse de jeux vidéo connue en ligne sous le pseudonyme Keffals. Canadienne, elle a dû déménager l'an dernier après être devenue la cible d'une campagne de harcèlement en ligne.

Quelques heures après la fusillade de Nashville, la police locale a communiqué l'identité du criminel, abattu sur les lieux du crime: Audrey Hale, 28 ans, qui s'identifiait comme transgenre.

Mais cette information donnée par une source fiable n'a pas suffi à arrêter le flot de désinformation. Sur les réseaux, certains sont immédiatement partis chercher des photos de Hale, et en quelques minutes, Twitter et d'autres plateformes débordaient d'images prétendant lui correspondre.

Je me suis dépêché de les vérifier, en utilisant des moteurs de recherche permettant de retrouver l'origine d'une image tels que TinEye , et en scrutant les commentaires d'autres utilisateurs, en quête d'indices d'authenticité.

Certaines photos semblaient crédibles. Il y avait une photo diffusée par la police, une autre prise sur un profil LinkedIn présenté comme celui de Hale. Mais d'autres étaient clairement hors sujet.

 Et puis je suis tombé sur une vidéo sur TikTok postée par un jeune de 19 ans.

"Il semble qu'on me prenne pour quelqu'un qui serait lié au drame survenu à Nashville aujourd'hui", disait-il. "Mais je n'ai rien à voir avec tout ça. J'habite en Pennsylvanie"

La photo de ce jeune homme, qui vend des oeuvres sur Etsy sous l'intitulé "AidenCreates", était déjà devenue virale, sous l'impulsion notamment de Donald Trump Junior, fils aîné de Donald Trump, très actif sur les réseaux. La désinformation le visant provenait vraisemblablement du fait qu' Aiden était - selon certaines sources - le prénom utilisé par Hale sur certains de ses comptes sur les réseaux.

Une autre photo, celle d'un militant de l'Oklahoma brandissant une pancarte appelant à respecter les droits des personnes transgenres, a aussi circulé largement sur les réseaux. Elle était présentée comme une photo de Hale, malgré les dénégations du photographe à l'origine de l'image.

Tous ces exemples illustrent une réalité qui paraît souvent accablante dans ces moments de crise : à savoir que la désinformation progresse presque toujours plus vite que les efforts engagés pour trier le vrai du faux.

La nuit de la fusillade de Michigan State University, la police a même reçu des appels de gens prêts à lui donner des tuyaux sur la base du faux compte Facebook créé au nom de l'écrivain du Massachusetts.

Et quand on essaie d'imaginer ce que les récentes percées de l'intelligence artificielle vont permettre en matière de désinformation, on a le vertige. La semaine dernière, une des images les plus virales sur les réseaux était une photo créée de toutes pièces avec des outils d'IA montrant le pape François en fashionista, portant lunettes de soleil et doudoune blanche.

Récemment, des centaines d'experts du secteur de la tech, dont Elon Musk, ont appelé à faire une pause dans les développements de l'IA, invoquant des "risques majeurs pour l'humanité".  Le même Elon Musk, propriétaire de Twitter, plateforme qui a commencé à assouplir les mesures qu'elle avait prises pour limiter la propagation de fausses informations...

Les conséquences de tout cela vont bien au-delà de la simple confusion. La vie des personnes accusées à tort peut basculer, dès lors que leur nom ou leur photo est associé à de tels meurtres.    

Dans sa video sur TikTok, le jeune homme qui vend ses créations sur Etsy appelait à l'aide, à défaut d'autres possibilités de recours. “Si vous voyez ma photo circuler sur les réseaux, sous quelque forme que ce soit, s'il vous plaît, signalez-le”, implorait-il.

Mais le mal était fait, et la vérité en avait encore pris pour son grade.

Edité par Fiachra Gibbons, traduit par Catherine Triomphe à Paris

Date: 2023-04-30 Comments: 0 Visitors :338
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